COOPÉRATION MONÉTAIRE ENTRE LA FRANCE ET LA ZONE FRANC, Les pistes de réforme ?

Longtemps décriée, car perçu comme un symbole de soumission à l’ancienne puissance coloniale, le Franc CFA reste encore aujourd’hui largement sous le contrôle de la France. Depuis 2019, une série de réflexions et de proposition de réforme de cet instrument a été initiée par les pays. Quels sont les changements attendus pour le Franc CFA en Afrique centrale et de l’Ouest ? Décryptage.

Une monnaie perçue comme un symbole de domination

Sur le continent africain, elle est sans aucun doute la monnaie qui cristallise le plus les critiques les plus virulentes en son encontre en raison d’abord de son passé historique lourd hérité de la période coloniale. Au fil des décennies, elle sera perçue comme le symbole de la domination française sur ses anciennes colonies, arme invisible du néocolonialisme incarné par la « Françafrique ». Tout au long de son histoire, elle aura connu de nombreux changements de façade qui n’aura rien changé en ce qui concerne le fond. En effet, depuis sa création à la fin de la seconde guerre mondiale en 1945, elle connaitra dès 1948 sa première dévaluation (un franc français passera de 0,588 à 0,5 FCFA). Au moment des indépendances des pays africains francophones en 1960, un franc français passera à 50 FCFA durant plus de quatre décennies. Puis on se rappelle la dévaluation de 50% du FCFA en janvier 1994 quelques semaines à peine après la disparition du président ivoirien Félix HOUPHOUËT-BOIGNY le 7 décembre 1993 qui était un farouche opposant à cette dévaluation. Enfin en 1999, nouveau changement de parité avec la création de l’Euro, cette dernière valant 655,957 FCFA, encore en vigueur. Mais au-delà du symbole lié à son histoire, ce sont les principes mêmes qui régissent le fonctionnement du Franc CFA qui suscitent la controverse, à savoir: la parité fixe avec l’euro, la convertibilité illimitée en euros, la mutualisation des réserves de change et la liberté des transactions courantes et des mouvements des capitaux.

De nombreuses monnaies avec les mêmes règles

Parmi les nombreuses critiques formulées contre la monnaie que partagent les 15 pays africains pour la plupart francophones en dehors de la Guinée Bissau et de la Guinée équatoriale, c’est sans aucun doute la coopération monétaire qui lie ces pays à l’ancienne puissance coloniale. En effet, des accords de coopération monétaires lient la France aux pays de l’Afrique de l’Ouest avec l’UEMOA et ceux de l’Afrique centrale avec la Cemac. Les accords entre la France et les pays de l’UEMOA et de la Cemac qui datent de 1973 se traduisent par le franc de la Communauté financière africaine pour l’Afrique de l’Ouest (XOF) et par le franc de la Coopération financière pour l’Afrique centrale (XAF). Contrairement aux idées reçues, il ne s’agit pas d’une seule monnaie régionale, mais de deux monnaies bien distinctes et supervisées par deux banques centrales différentes à savoir la BCEAO et la BEAC. Pire, ces deux monnaies régionales ayant la même convertibilité ne sont pas directement changeables entre elles, mais uniquement à travers l’Euro !

Des critiques qui ne cessent de se multiplier

Parmi les pourfendeurs du Franc CFA, l’économiste togolais Kako NUBUKPO est sans aucun doute l’un des plus virulents. L’homme est un ancien ministre de l’économie de 2013 à 2015 dans son pays et responsable de l’économie numérique au sein de l’OIF, avant d’occuper le poste de commissaire à l’UEMOA en charge de l’Agriculture, de l’eau et de l’environnement. En effet, pour cet homme politique, le Franc CFA est une forme de servitude volontaire des pays africains qui acceptent de renoncer à leur souveraineté monétaire. En étant lié à parité fixe avec l’euro, les gouvernements d’Afrique de l’Ouest et du centre ne peuvent avoir d’autres leviers pour lutter contre l’inflation que la balance des réserves de changes qui sont en réalité la quantité d’euros dont disposent leurs banques centrales. En outre, pour lutter contre l’inflation, ces banques centrales ne pouvant pas jouer sur les taux directeurs ne laissent en réalité que peu de marge de manœuvre aux États.

L’autre critique formulée contre le Franc CFA concerne la garantie de change des avoirs extérieurs déposés par la BCEAO et la BEAC dans un compte d’opérations au trésor public français. En effet, afin de garantir la convertibilité illimitée et inconditionnelle des FCFA en euros par la Banque de France, les autorités françaises disposent de représentants pour s’informer du niveau réel des réserves dans chacune des banques centrales. Dans ce cadre, il est aussi fait mention d’un dépôt minimum obligatoire des avoirs extérieurs nets des banques centrales auprès du trésor français de 50% depuis 2005 pour la BCEAO et 2007 pour la BEAC. Concrètement, la banque de France doit prêter des euros banques centrales africaines à chaque fois qu’elles le souhaitent pour effectuer leurs paiements à l’extérieur. Or ce mécanisme n’a plus jamais été utilisé par la France depuis 1990. En cas de manque de devises, le gouvernement français a plutôt encouragé les pays africains à prendre des mesures d’austérité budgétaire ou à s’endetter auprès des bailleurs de fonds internationaux (FMI, Banque Mondiale et marchés financiers). La France ne prête plus de devises aux pays africains et ne leur permet plus de découverts sur leurs comptes d’opérations depuis plus de 30 ans ! Les pays membres de l’UEMOA et de la Cemac sont donc non seulement obligés de se priver d’une manne considérable de devises pour faire face à leurs besoins, mais aussi contrains de mettre en œuvre des politiques budgétaires restrictives et/ou augmenter considérablement leur dette.

Des réformes bien en deçà des attentes

À son arrivée en 2017 à l’Élysée, Emmanuel MACRON avait promis d’y apporter de véritables réformes dans le cadre d’un « nouveau partenariat avec l’Afrique». Lors de sa visite en Côte d’Ivoire en 2019, le nouveau président français avait aux côtés de son homologue ivoirien Alassane Dramane OUATTARA présenté quelques pistes de réformes de la monnaie ouest-africaine. À cet effet, les deux chefs d’État avaient annoncé la fermeture du compte d’opérations de la BCEAO au trésor français, le changement de dénomination et la suppression des sièges réservés aux Français à la BCEAO. Aucune réforme sur la parité fixe par rapport à l’euro ni sur la convertibilité garantie par la Banque de France.

Ces réformes seront même qualifiées de « façade » par Ndongo SAMBA SYLLA, chargé de recherche à la Fondation Rosa Luxemburg. Selon lui, ces réformes ne changeront pas fondamentalement la donne, car dans les faits « rien ne bouge», les changements étant administratifs et non monétaires.

Pour ce qui concerne le Franc CFA de la zone Cemac, les chefs d’État ont lancé depuis 2019 une série de réflexion sur cette question. Lors d’un colloque organisé à Libreville les 17 et 18 novembre 2022, des chercheurs des universités et acteurs de la société civile s’étaient d’ailleurs penchés sur la question d’une « réforme profonde du Franc CFA ». Réunis à Yaoundé le 17 mars dernier, les chefs d’État ont plutôt privilégié une réforme progressive du partenariat monétaire avec la France. Ils avaient par ailleurs dans un premier temps initié une réflexion au sein de la BEAC et de la Commission de la CEMAC. À la suite du rapport rendu conjointement par Abbas Mahamat TOLLI gouverneur de la banque centrale et le Pr Daniel ONA ONDO président de la commission de la CEMAC, les chefs d’État ont donc décidé « d’élargir la réflexion au niveau des ministres des Économies et des Finances » des États membres. Selon des indiscrétions publiées dans une revue panafricaine, les réformes envisagées pourraient être les mêmes que celles envisagées en Afrique de l’Ouest à savoir la fermeture du compte d’opérations au trésor français, le changement d’appellation et la suppression des sièges des représentants français à la BEAC. Des réformes, semble-t-il, à minima.

Des visions divergentes concernant les réformes à venir

En dépit de critiques de plus en plus nombreuses contre le Franc CFA y compris des pays de l’Union européenne (notamment de l’Italie), des intellectuels, des hommes politiques et des acteurs de la société civile, son avenir ne semble pas menacé à court terme. Les dirigeants en Afrique centrale privilégient le temps de la réflexion pour le CFA-CEMAC. En effet, les questions liées au désarrimage à l’euro du Franc CFA et de son rattachement à un panier de devises (dollar, euro, yuan), jugées plus délicates nécessitent une réflexion à long terme. En Afrique de l’Ouest, ce sont les divergences autour de la future monnaie régionale (Eco) entre les francophones qui considèrent que la monnaie étant neutre et sans impact sur l’activité prônent une gestion monétariste alors que les anglophones veulent garder la possibilité d’utiliser la planche à billets pour activer l’économie en cas de crise conjoncturelle. La mondialisation et ses bouleversements économiques, la multiplication et la diversification des partenaires des pays africains de l’Ouest et du centre rendent obsolètes ces monnaies africaines dans leur configuration actuelle et requière donc une toute nouvelle approche de politique monétaire. Sortir du Franc CFA n’est pas une utopie. La Guinée de Sékou Touré l’avait fait à la suite de son indépendance en 1958 et la Mauritanie par la suite en 1972 lors de son départ de l’UEMOA. Ces 2 pays ne se sont pas effondrés pour autant. 

Jean Paul Augé OLLOMO

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