Pétrole, LES OPÉRATEURS À L’ÉPREUVE DU CHANGEMENT DE RÉGIME POLITIQUE.
Le coup d’État opéré par l’ensemble des forces de défense et de sécurité le 30 août 2023 aura inévitablement des répercussions dans le secteur des hydrocarbures. Les rapports entre les opérateurs et les nouvelles autorités gabonaises ont d’ailleurs commencé à changer avec l’annonce par la DGH d’une opération de vérification de conformité des chiffres. Les sociétés, qui pour la plupart revendiquent de belles performances depuis le début de l’année, devront désormais composer avec une nouvelle façon de faire qu’entend imposer le CTRI dont l’une des principales ambitions est l’instauration d’une véritable orthodoxie dans ce secteur pilier de l’économie nationale.
2023, UNE ANNÉE QUI A BIEN DÉMARRÉ
Dans sa Note de conjoncture sectorielle rendue publique en mai dernier, la direction générale de l’Economie et de la Politique fiscale (DGEPF) révélait qu’au premier trimestre 2023, au Gabon, l’indice de la production de pétrole s’est redressé de 2% par rapport au quatrième trimestre 2022, ceci malgré le respect par le gouvernement des quotas édictés par l’OPEP+. « Cette performance a été réalisée grâce à une production des champs sans interruption (dysfonctionnements ou arrêts programmés). Le bon rendement des puits s’explique également par les efforts d’investissement antérieurs réalisés par les opérateurs », expliquait alors l’administration placée sous la tutelle du ministère de l’Économie.
Au cours des mois suivants, cette embellie s’est poursuivie, au point que certains ont vu leur chiffre d’affaires exploser et d’autres leurs principaux projets se concrétiser. C’est notamment le cas pour BW Energy, Maurel & Prom et TotalEnergies (baisse de 44% du chiffre d’affaires au premier trimestre 2023 au Gabon).
BW Energy : 46,6 millions de dollars au premier semètre 2023
Basée aux Bermudes et opérant Dussafu, Hibiscus/ Ruche et Tortue, la société pétro-gazière britannique a revendiqué sept jours avant le coup d’État, le 23 août 2023, un chiffre d’affaires de 169,8 millions de dollars au terme des six premiers mois de l’année en cours, notamment grâce à une hausse des volumes de brut vendus durant cette période. En 2022, à la même période, elle avait fait 23,2 millions de dollars, soit une augmentation de 46,6 millions de dollars, grâce notamment à une hausse dans les volumes nets de brut vendus au cours de la période (1 700 000 barils, contre 950 000 barils au premier semestre 2022).
« La production brute de Dussafu a plus que doublé au deuxième trimestre par rapport aux trois mois précédents, alors que nous avons franchi des étapes clés sur le développement d’Hibiscus/Ruche avec deux puits en production à la fin de la période. La dynamique positive se poursuit au second semestre avec un troisième puits en production et le démarrage de la capacité supplémentaire de Gas Lift pour soutenir le champ de Tortue en juillet. Nous prévoyons de poursuivre la croissance de la capacité de production et de génération de liquidités au cours des prochains trimestres à mesure que nous terminons le programme de forage de Dussafu et finalisons les acquisitions de champs au Brésil », avait justifié Carl K. ARNET, PDG de BW Energy, qui reconnaissait ainsi que les activités de son entreprise au Gabon ont fortement contribué à ses performances.
Maurel & Prom : Bientôt le patron du secteur
Parmi les premiers opérateurs à communiquer à la suite du coup d’État, le Groupe Maurel & Prom est un des seuls qui se sont montrés plutôt sereins, comme convaincu que le changement de régime politique n’aura pas d’impact sur ses activités. Dans un communiqué, le 30 août, soit le même jour que la prise du pouvoir des militaires, il a informé que la situation au Gabon n’affectait pas la sécurité des employés de sa filiale gabonaise. « Les activités sur site se déroulent quant à elles normalement, sans impact sur la production », avait en effet tenu à rassurer le Groupe dont la sérénité pouvait s’expliquer par le gros coup qu’il était parvenu à réaliser dans le pays deux semaines avant le putsch.
La compagnie pétrolière et gazière avait en effet signé, le 15 août 2023, l’achat de l’ensemble des actions d’Assala Energy au Gabon. Une acquisition ayant nécessité une contrepartie de 730 millions de dollars versée au vendeur Carlyle International Energy Partners, propriétaire d’Assala Energy Holding Ltd. Cette transaction est censée faire de Maurel & Prom l’opérateur numéro 1 dans le pays. Aussi, la société espère-t-elle que les autorités de la Transition accorderont leur quitus.
« Le processus d’acquisition d’Assala Energy par le Groupe M&P, dont la signature du contrat d’achat d’actions est intervenue le 15 août 2023, se poursuit. La Transaction reste toujours soumise à diverses approbations, notamment celles de la République du Gabon et de la CEMAC (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale) en matière de contrôle des fusions. Pour information, les activités et la production d’Assala Energy ne sont pas non plus affectées par les récents événements », informait, le 30 août 2023, le Groupe qui avait pourtant regretté, le 20 juillet 2023, un chiffre d’affaires consolidé de 299 millions de dollars au premier semestre 2023, en baisse de 7% par rapport à la même période en 2022.
PANIQUE À LA BOURSE
Selon l’agence de presse Reuters, la bourse s’est affolée peu après le coup d’État au Gabon. Le 30 août 2023, plusieurs opérateurs en activités au Gabon ont vu leurs actions chuter. Bref rappel :
- Les actions du producteur de pétrole Vaalco Energy Inc. (EGY.N) ont chuté de 15,4 % à 3,95 dollars ;
- Les actions de la compagnie pétrolière et gazière Maurel & Prom (MAUP.PA) ont chuté de 16,3% ;
- Les actions de Panoro Energy (PENR.OL) cotées à Oslo ont chuté de 5,2% ;
- Elles aussi cotées à Oslo, les actions de BW Energy (BWE.OL) ont chuté de 9,3%.
COMME UN AIR D’AUDIT
Arrivé à la tête du pays dans le principal but de « restaurer les institutions » tout en permettant aux Gabonais de tirer profit de l’exploitation de leurs ressources naturelles, le Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI) entend d’abord mettre de l’ordre dans le secteur pétrolier. Ce qui a conduit le Général Brice Clotaire OLIGUI NGUEMA à nommer, le 7 septembre 2023, Arnauld ENGANDJI, ex-patron de la Gabon Oil Company (GOC), comme conseiller à la présidence chargé des Mines et des Hydrocarbures. Un jour plus tôt, le 6 septembre, plusieurs opérateurs, à l’instar de Perenco, Assala Energy, Maurel & Prom et TotalEnergies ont reçu un courrier qui en disait long sur les intentions des nouveaux patrons du palais Rénovation.
Signée du secrétaire général du ministère des Hydrocarbures, Nestor ANDOME AYI, cette lettre leur enjoignait d’« énumérer les différents paiements effectués au bénéfice de l'État gabonais » sur la période allant de 2020 à 2023. Il ne s’agit pas d’un audit au sens des conventions en vigueur, à en croire l’auteur de la correspondance joint par Africa Intelligence. Il s’agirait plutôt d’une requête ayant pour but d'établir un rapport d'activité. En clair, les autorités de la Transition souhaitent « s'assurer que les transferts de fonds des firmes pétrolières au Trésor public ont bien été conformes aux relevés des comptes officiels, durant les dernières années d'Ali Bongo à la tête du pays », croient savoir nos confrères.
Cependant, certains anciens responsables de l’administration publique en charge des Hydrocarbures parmi lesquels l’ex-ministre du Pétrole, Vincent de Paul MASSASSA, ont fait l’objet d’une attention particulière de la part de la Direction générale des contre-ingérences et de la sécurité militaire (DGCISM ou "B2"). L’ex-membre du dernier gouvernement d’Ali BONGO ONDIMBA a fait l’objet d’un mandat de dépôt. Sacré coup de pression des militaires sur la quinzaine des sociétés pétrolières opérant au Gabon !
Griffin ONDO