ARLETTE SOUDAN-NONAULT, Le Bassin du Congo, aujourd’hui, c’est le premier poumon écologique de la planète.
Le One Forest Summit s’est tenu les 1er et 2 mars 2023 à Libreville, sous l’égide conjointe des présidents Ali BONGO ONDIMBA et Emmanuel MACRON. Un sommet dédié à la protection des forêts tropicales en marge duquel notre rédaction s’est entretenue avec Arlette SOUDANNONAULT, journaliste et femme politique congolaise, actuellement ministre de l’Environnement, du Développement durable et du Bassin du Congo en République du Congo
Enoromi Magazine
Quelles sont les attentes des pays du Bassin du Congo en prenant part à ce sommet ?
Arlette SOUDAN-NONAULT
J’aimerais déjà vous remercier pour l’opportunité que vous me donnez de pouvoir m’exprimer devant ceux qui portent cette voix de sensibilisation, de pédagogie dans le cadre du changement climatique et dans le cadre de la biodiversité. Cette urgence de l’écologie qu’il nous faut préserver.
J’aimerais peut-être vous rappeler qui nous sommes. Le Bassin du Congo aujourd’hui, c’est le premier poumon écologique de la planète. Aujourd’hui, cela est avéré. Vous connaissiez souvent l’Amazonie de par sa superficie et de par le passé était l’un des remparts de l’humanité en matière de régulation du climat, mais aujourd’hui, nos forêts du Bassin du Congo séquestrent 1,5 milliard de tonnes de CO2. Ce que l’on ne vous dit pas, c’est que récemment on a découvert ce qu’on appelle les « tourbières » du Bassin du Congo qui, elles, ne stockent pas moins de 31 milliards de tonnes de CO2. C’est l’équivalent de 3 à années d’émission de gaz à effet de serre de toute la planète.
Le Bassin du Congo, c’est aussi une autre particularité. Nous abritons également 10% de la biodiversité mondiale. Nous avons également ce majestueux fleuve Congo qui est le deuxième de par son débit après l’Amazone. Vous comprenez que l’enjeu est crucial. Nous sommes aujourd’hui le rempart de l’Humanité.
Si nous voulons dans le cadre des «Accords de Paris », qui nous font l’obligation de maintenir la température de notre planète à 1,5°C et si nous ne préservons pas le milliard et demi de tonnes de séquestration de nos forêts du Bassin du Congo, si nous ne conservons pas les 31 milliards de tonnes stockées dans nos tourbières du Bassin du Congo, nous basculeront comme le dit le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) et les scientifiques à 3 ou 4°C et vous comprenez que ça devient invivable.
Parallèlement, quel est l’enjeu ? Nous sommes les bons élèves de l’atténuation, mais en matière de développement durable, nous devons pouvoir exploiter, tout en préservant pour les générations futures. Parce qu’il n’y a pas deux planètes, il n’y a qu’une seule. Il n’y a qu’un seul habitat et nous y sommes tous. Donc, il nous faut pouvoir concilier le développement inclusif, dans le cadre d’une économie circulaire, parce que nous avons nos populations à qui il faille donner des ressources alternatives, à qui il faille apprendre l’exploitation de ces ressources naturelles sans pour autant nous mettre nous – même en tant qu’humains en difficulté. Vous comprenez qu’aujourd’hui, le One Forest Summit, qui porte les questions climatiques parce que les forêts sont des ressources naturelles au centre même de la régulation du climat et vous avez les questions de la biodiversité.
Nous sortons de la Cop 15 de la biodiversité avec des engagements sur tout ce qui a trait à l’eau. L’Afrique n’est pas en reste. Nous avons ce qu’on appelle, les « Accords d’Abidjan » sur toutes les ressources. Je suis l’autorité nationale en matière de biodiversité de mon pays (République du Congo), il était important que nous venions porter notre voix et notre soutien au One Forest Summit porté par la République du Gabon parce qu’un doigt ne lavant pas le visage, il est question de partager avec les autres, surtout que nous sommes tous dans une initiative sous-régionale, et le reste de la planète, nous pays du Sud avec les pays du Nord et les deux autres bassins (Amazonie et Bornéo-Mekong) sont associés à cette initiative.
Ce qu’on ne vous dit pas. Lorsque nous conjuguons, nous additionnons ce que représente le Bassin du Congo, le Bassin de l’Amazonie, ce que représente le Bassin du Bornéo-Mekong, à nous trois, nous représentons 80% de la biodiversité mondiale. Nous donnons à 1,5 milliard de populations une économie de substitution par rapport à ce que nous voulons dans le cadre de la préservation de notre planète, de nos écosystèmes dans la ligne des 17 objectifs de développement durable.
Enoromi Magazine
Le ministre gabonais Lee WHITE a souhaité aborder au cours de ce sommet « les questions qui fâchent». Parmi celles-ci, la rémunération des services écosystémiques, le renflouement des différents fonds. Les pays du Bassin du Congo doivent-ils toujours faire confiance à la communauté internationale sur le financement des efforts pour la préservation de la nature et de la biodiversité au regard des nombreux manquements aux engagements depuis Glasgow ?
Arlette SOUDAN-NONAULT
Écoutez, il faut déjà partir de Rio (1992) et le plan de Copenhague (2009) également où les États du Sud, qui sont les États les moins pollueurs, l’Afrique n’est qu’à 4% des émissions, il nous avait été promis 100 milliards par an pour ce qu’on appelle « aller vers une transition énergétique », aller également vers ce qu’on appelle communément les questions d’adaptation. Mais la question n’est pas là. La question, vous l’avez dit, c’est le nerf de la guerre. Nous rendons, le Bassin du Congo, en tant que rempart de l’humanité un service écosystémique.
Le président Denis SASSOU NGUESSO, à la tribune de la Cop 26 à Glasgow, l’a dit. Il a parlé de cette question de « service écosystémique ». Ça veut dire quoi en d’autres termes ? Nous aujourd’hui, nous permettons à la planète de respirer, mais qu’avons-nous en retour ? Comment nous allons vers notre agriculture qui doit être résiliente ? Comment nous allons aller vers une ville intelligente avec la notion de durabilité ? Comment nous allons aller simplement vers une transition énergétique puisqu’il faut quelque part nous désengager des énergies fossiles qui sont des énergies polluantes ? Donc, toutes ces questions, nous venons les mettre sur la table. Ce qu’on ne vous dit pas. Qu’est – ce qui nous fâche ? Dans l’Accord de Paris à l’article 6, il est question de ce qu’on appelle les crédits carbone. Le crédit carbone aujourd’hui, la tonne telle que nous on veut la vendre, le marché on veut que nous ayons simplement accès, on appelle ça un « marché volontaire ». C’est un véritable Far West ce marché volontaire où c’est à la tête du client, où c’est à la puissance du pays, où c’est à la puissance de la coalition, qu’on vous propose des coûts entre 5, 8, 10 maximum 30 dollars la tonne, en dessous de ce que préconise le marché du crédit carbone souverain, qui est préconisé dans l’Accord de Paris et qui oscille entre 50 et 150 dollars.
Aujourd’hui, les pays partis comme les nôtres de l’Accord de Paris, les pays du Nord, de façon globale, ont accès à ce financement. Mais nous, on nous demande d’attendre un cadre institutionnel, un mécanisme qui depuis 15 ans n’a pas été mis en place. Cependant, on veut nous empêcher de pouvoir bénéficier de ce qui nous est dû alors que nous rendons ce service écosystémique. On doit être rétribué parce que si nous n’avons pas cette rétribution, comment pourrons – nous financer notre transition énergétique. Comment pourrons-nous continuer à concilier l’exploitation durable de nos ressources naturelles, la restauration des terres dégradées, la reforestation ? Ce sont ces questions-là, qui ont au centre le crédit carbone souverain. Il faut employer et maîtriser ces notions. Ce n’est pas simplement le crédit carbone, c’est la notion de crédit carbone souverain, qui est quelque chose de réguler. Un marché régulé que nous retrouvons dans le cadre de l’Accord de Paris.
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Face au conflit homme-faune dont elles sont particulièrement victimes depuis plusieurs années sans que de véritables solutions soient trouvées, au Gabon, les populations estiment subir les politiques de conservation et réclament des compensations. Comment gérez-vous la situation dans votre pays ?
Arlette SOUDAN-NONAULT
J’apprécie votre question parce que je n’aurais pas pu répondre en matière de biodiversité, de faune de la République du Gabon, même – si mon frère Lee WHITE et moi nous sommes très amis. Mais, sous le plan de la République du Congo, mon pays, nous avons une politique où nous avons mis en place avec des organisations internationales un système d’électrification des zones habitées pour permettre aux populations d’être en zones protégées.
Ce qu’on ne dit pas toujours, c’est que la démographie fasse que l’humain occupe l’habitat de la faune. Ça aussi, on ne le dit pas et la faune n’a plus d’espace donc elle vient sur le territoire des humains. C’est son territoire en fin de compte. C’est nous qui la dépossédons de son territoire. Aujourd’hui, nous nous retrouvons, même en République du Congo, avec ce conflit et dans le cadre de la préservation de ces espèces protégées, il y a énormément d’éléphants qui manquent d’habitat. Nous avons donc trouvé des solutions avec les populations en allant vers les zones protégées des humains afin de laisser les éléphants d’un côté et les humains que nous sommes d’un côté.
Au-delà de cette relation conflictuelle, n’oubliez pas que lorsque nous entrons dans l’habitat de cette faune, il y a des panels ici qui parlent des maladies, des zoonoses qui sont portées par des animaux. Il y a plusieurs conséquences à la cohabitation. Il nous faut, dans le cadre de l’utilisation rationnelle et durable des terres, revoir les politiques en la matière.
Enoromi Magazine
L’importance des forêts n’est plus à démontrer surtout en s’appuyant sur l’exemple de la séquestration du carbone. Cependant, pourquoi les solutions ne devraient-elles pas être endogènes aux communautés tirant leurs revenus de l’exploitation de la forêt ? Aussi, quels sont vos espoirs pour que ce sommet ne soit pas un de plus ?
Arlette SOUDAN-NONAULT
Nous l’avons dit. Vous avez entendu la secrétaire d’État française Chrysoula ZACHAROPOULOU le dire. Les communautés et les peuples autochtones sont au centre de nos préoccupations parce que ce sont elles qui sont impactées. Nous avons des politiques dans ce sens. Dans le Bassin du Congo, il y a des politiques sous-régionales avec la Communauté économique des États de l’Afrique centrale où nous portons également des politiques de protections de nos populations sur l’ensemble des 15 pays membres de la Commission du Bassin du Congo.
Lorsque je parlais tout à l’heure d’une économie circulaire, c’est une économie alternative qu’il nous faut mettre sur pied pour nos populations qui vivent de la chasse, de la cueillette. Nous sommes en train d’apporter certains financements, dans le cadre du Fonds d’adaptation, nous sommes déjà dans les axes premiers, en termes de sensibilisation et de pédagogie. Ce parce qu’ils sont démunis tout d’abord sur l’appropriation et l’implémentation de la notion de Changement climatique, de biodiversité et de durabilité tout simplement. Il y a plusieurs choses que nous faisons avec nos populations, qui sont sensibilisées pour une meilleure appropriation et pour une meilleure implémentation de cette grande problématique.
Aujourd’hui, ce n’est pas un sommet de plus. La problématique est tellement importante et demande tellement d’énergie qu’il nous faut multiplier les efforts pour que nous puissions protéger notre habitat commun qui est la planète. Parce que comme le dit le secrétaire général des Nations unies, nous sommes depuis près de 3 ou 4 ans dans l’urgence climatique. Il nous faut arrêter avec les discours. Il nous faut aller vers le concret. C’est pourquoi le sommet convoqué par le président Denis SASSOU NGUESSO, qui est président de la Commission Climat du Bassin du Congo, et les Nations unies, le secrétaire Antonio GUTERRES. Aujourd’hui, il nous faut conjuguer toutes ces réunions internationales parce qu’il nous faut réellement des financements.
Mon frère Lee WHITE l’a dit. Lorsqu’il a été question de l’urgence durant le Covid, la mobilisation s’est faite notamment financière, mais nous devons avoir la même mobilisation par rapport à ces questions de changement climatique.
Propos recueillis par Séif MOSTLEY